55 ans après l’assassinat du leader révolutionnaire latino-américain, Ernesto Che Guevara, assassiné le 9 octobre 1967 en Bolivie. Nous reproduisons cet article de Mercedes Petit du 9 octobre 2008 à l’occasion du 40ᵉ anniversaire de son assassinat.
« Révolution socialiste ou caricature de révolution ».
À l’heure où les sondages en tous genres sont à la mode, ce serait une fierté que Guevara, tombé en Bolivie le 9 octobre 1967, soit consacré « l’Argentin le plus célèbre ». Pour beaucoup de jeunes qui le portent sur leurs T-shirts, pins et posters, il est un exemple de vie militante et honnête, de dévouement à un idéal de changement et de lutte révolutionnaire.
Ernesto Guevara est tout cela, et bien plus encore. Dans les polémiques actuelles sur la lutte pour le socialisme au nouveau siècle, il y a beaucoup à apprendre et à étudier de son expérience. Notre courant, dirigé par Nahuel Moreno, a critiqué dès le début les conceptions de la guérilla et du foquisme de Guevara. Nous avons formulé ces critiques avec la conviction que ces foyers de guérilla étaient une impasse vers la réalisation de nouvelles victoires et dans le cadre de la défense inconditionnelle de la première révolution socialiste en Amérique latine. Nous lui avons également reproché de ne pas considérer le besoin d’autodétermination et de démocratie pour la classe ouvrière et la nécessité de construire de nouveaux partis révolutionnaires. Mais, nous avons aussi considéré que la figure de Guevara allait bien au-delà de ces différences.
« Guevara : héros et martyr de la révolution permanente ».
C’est sous ce titre que Nahuel Moreno a publié, quarante ans auparavant, son hommage au révolutionnaire assassiné en Bolivie. « Guevara, qui a risqué sa vie autant de fois que nécessaire, quitte à la perdre, pour la révolution cubaine et latino-américaine, n’a pas eu peur d’affronter et de répondre aux problèmes les plus graves posés à la révolution. De la défense de Cuba à la construction du socialisme dans l’étape transitoire, en incluant les relations économiques entre les pays socialistes […] pour lui donner une issue : la révolution permanente » (La Verdad, 23/10/67).
Rappelant sa rencontre avec le Che lors de la réunion de Punta del Este, Moreno n’hésite pas à le placer dans « l’aile la plus révolutionnaire », qui s’oppose à la direction de l’URSS, dans le processus cubain, sans pour autant négliger ses positions pro-chinoises (El Tigre de Pobladora, El Socialista, 2006).
En plus d’être un infatigable défenseur des expropriations et de la centralisation économique, Guevara était également déterminé à « impliquer les travailleurs dans la direction de l’économie nationale planifiée »(voir, par exemple, son discours du 8/8/61), et il avait un souci particulier et précoce de dénoncer et de combattre les privilèges dont commençaient à jouir les fonctionnaires du gouvernement et du parti. Il menait une vie personnelle et familiale absolument austère et se mettait chaque dimanche à la tête de brigades de travail, pour éduquer par son exemple. Sa vision internationaliste l’amène à comprendre la défense de Cuba comme faisant partie de l’extension de la révolution socialiste au reste de l’Amérique latine et à se heurter de plus en plus aux positions de la bureaucratie soviétique. Il a vivement critiqué les conditions d’échange économique de l’URSS avec les autres pays du « camp socialiste ». En février 1965, il prononce un discours célèbre à Alger. Il a fait appel à une lutte unie contre l’impérialisme pour mettre fin à l’impérialisme dans le monde entier, au renforcement de l’internationalisme prolétarien et à une lutte mondiale pour le socialisme. Il a condamné la politique de coexistence pacifique entre les dirigeants de l’URSS et l’impérialisme, a exigé un soutien inconditionnel, avec des armes libres aux Vietnamiens, a dénoncé le joug des dettes étrangères et des bases militaires américaines. Ces positions révolutionnaires perdaient du soutien à l’intérieur de Cuba, et peu de temps après, il est parti pour ne jamais revenir.
Avant le premier anniversaire de son assassinat, la direction de Fidel et le PC cubain ont soutenu le massacre de la révolution tchécoslovaque par l’armée soviétique en août 1968. Et, lorsque Allende a pris le pouvoir au Chili, il a chaleureusement soutenu la « voie pacifique vers le socialisme », qui, avec son utopie de conciliation des classes, a ouvert la voie au triomphe de Pinochet.
Les conceptions du « socialisme du 21ᵉ siècle » et de Guevara
Aujourd’hui, les gouvernements du Venezuela et de Cuba, ainsi que le PC cubain, proclament un soi-disant « socialisme du XXIᵉ siècle ». Ils défendent l’économie capitaliste mixte, la coexistence de différentes formes de propriété (y compris les entreprises des grandes multinationales) et les mécanismes du marché. Les échecs du Chili dans les années 1970 et du Nicaragua dans les années 1980 étaient déjà une preuve évidente de la direction que prend ce néo-réformisme. Ils ont pris le chemin inverse de celui de Cuba, en maintenant le capitalisme. Le Che n’était plus là. Mais, il a laissé sa conception socialiste, révolutionnaire et internationaliste. Pour Guevara, la nécessité de la révolution, les expropriations, la planification et la participation consciente des travailleurs à la construction de l’économie de transition, l’extension de la révolution et la solidarité mutuelle entre les pays que l’on appelait « le camp socialiste » constituaient une totalité. Pour leur approche, il n’y avait pas de demi-mesure. Si c’est le marché qui prime sur la planification et la centralisation, c’est le capitalisme, pas le socialisme. Pour Gueeso, dès 1963, il rejette les positions qui prônent une approche mercantile de l’économie cubaine et critique le gouvernement de l’URSS qui l’encourage.
Les expériences des « réformes de marché » des bureaucrates chinois et soviétiques, qui ont conduit à la restauration du capitalisme dans ces pays, et les nouvelles tentatives de faire du « socialisme » dans le capitalisme maintiennent la validité de cette phrase pour laquelle Guevara a donné sa vie : « révolution socialiste, ou caricature de révolution ».
Le Che croyait-il que Trotsky « était un ennemi de l’Union soviétique » ?
On s’interroge toujours sur les penchants de Che pour Trotsky, le vieux révolutionnaire russe. Rappelons un seul exemple. Trente ans après son assassinat, le « Comandante Benigno » (le Cubain Daniel Alarcón Ramírez, qui l’a accompagné en Bolivie), a déclaré qu’après son discours d’Alger, « pour l’Union soviétique, le Che est devenu un anti-soviétique ». Certains le décrivent comme un trotskiste ou quelque chose de similaire. Cela n’était pas connu du peuple cubain, mais de certains dirigeants ». (La Prensa, 29/6/97)
Ce manque de « connaissance du peuple cubain » et l’inexistence de débats démocratiques et ouverts sur les grands problèmes de la révolution, aussi bien dans les années soixante qu’aujourd’hui, ne permettent pas de répondre de manière documentée à de nombreuses positions du Che, donnant du poids aux « souvenirs » individuels afin de diffuser des positions politiques supposées.
C’est le cas, par exemple, d’Orlando Borrego Díaz, qui a combattu sous la direction du Che pendant la lutte contre Batista et est devenu un proche collaborateur et ami. Dans une interview réalisée quelques années auparavant, Borrego affirme que Guevara était un lecteur avide et très studieux, qu’il a « lu tout Trotsky ». Et, il ajoute, de son propre chef : « […] le Che a évolué et a commencé à tout comprendre de Trotsky. Il pensait que Trotsky s’était « éteint » vers la fin de sa vie, parce qu’il est arrivé un moment où sa haine de Staline… qui avait ses raisons, n’est-ce pas ?… l’a en partie transformé en ennemi de l’Union soviétique. Pas de Staline, mais de l’Union soviétique. Vers la fin de sa vie […] il était comme « fou » ».
Borrego attribue au Che, sans la moindre preuve, la vieille calomnie, mille fois alimentée par le stalinisme, contre Trotsky. À partir d’une prétendue « critique » de Staline, il disqualifie Trotsky en le définissant comme un « ennemi de l’Union soviétique ». C’était l’argument officiel de Staline pour « justifier » sa persécution de Trotsky et son assassinat en 1940. Mais si le Che a « tout lu », il sait parfaitement que les derniers textes de Trotsky à « la fin de sa vie » étaient une polémique passionnée pour défendre l’URSS, contre les secteurs petits bourgeois qui ont rompu avec la Quatrième Internationale, horrifiés par les crimes de Staline. La « version Borrego » rejoint l’interminable montagne d’ordures contre le vieux révolutionnaire. Et, puis il y a les faits. Guevara, dans nombre de ses critiques de la bureaucratie et dans sa défense de la révolution socialiste, était d’accord avec les positions de Trotsky, même sans le nommer. Et, quand il était dans la jungle bolivienne, Che, dans son bagage minimal, portait un livre de Trotsky…
Borrego est un spécialiste de la diffusion des prétendues positions du Che, de la manipulation des « souvenirs » et des citations hors contexte. Pour soutenir les fonctionnaires vénézuéliens, Chávez en tête, qui empêchent le développement du contrôle ouvrier dans les entreprises publiques, Borrego Díaz leur a remis une lettre, en 2005, dans laquelle il écrit que Guevara défend une gestion verticale et autoritaire entre les mains des bureaucrates du gouvernement, sans la participation des travailleurs…** Dans ce cas, aussi bien l’activité que les textes de Guevara le contredisent explicitement.
8 octobre 2022
Presse UIT-QI
* Publié dans El Capital, historia y método, par Néstor Kohan. Universidad Popular Madres de Plaza de Mayo, 2003. Ce dirigeant du parti communiste est un ancien ministre et un actuel conseiller du gouvernement cubain.
** Voir « La pelea por la cogestión y el control obrero », en La revolución venezolana, El Socialista, 2005.