Le coup d’État militaire du 15 juillet a laissé un bilan approximatif de 270 morts, des milliers de blessés, près de 6.000 militaires détenus et des milliers de juges destitués. Le gouvernement autoritaire d’Erdogan est ressorti renforcé. La tentative a mis en évidence l’existence d’une crise politique au régime turc, la crise qui pourrait continuer ouverte et avoir de nouveaux scénarios. Une des pires hypothèses consiste en ce qu’Erdogan, renforcé, approfondit ses politiques répressives vers le peuple kurde et les travailleurs avec l’argument de combattre la «sédition» et la défense de la «démocratie».
Cet article a été rédigé à partir d’un rapport envoyé par le Parti de la Démocratie Ouvrière de la Turquie, membre de notre organisation internationale (UIT-QI). Depuis la même nuit du 15 juillet notre courant international a émis un des premiers et rares communiqués de la gauche mondiale en rejet catégorique à la tentative du coup militaire. Notre attitude politique a été claire : «Non au coup militaire. Défendons les droits démocratiques du peuple turc ! Non au régime répressif d’Erdogan !»
Nous rejetons absolument la tentative des putschistes militaires sans donner aucun appui politique au gouvernement patronal répressif d’Erdogan. La situation politique de la Turquie s’est caracterise par différents facteurs
1.- Beaucoup de secteurs populaires, par la haine justifiée contre Erdogan, ont parlé d’un coup contre lui-même, pour déclencher une nouvelle escalade répressive. Mais ce n’a pas été une conspiration d’Erdogan. Il s’est agi d’une tentative de coup d’État réelle et très sérieuse.
2.- Le coup n’a pas réussi parce que les putschistes ne sont pas arrivés à ressembler plus de forces armées et ils n’ont pas eu aucune adhésion populaire. Ils n’ont pas eu, non plus, le soutien des États-Unis ni de l’impérialisme européen (UE), qui ont pris du retard avant de se prononcer de façon catégorique contre le putsch et cela a généré un affrontement avec le régime. L’impérialisme se méfie de la capacité politique d’Erdogan de maintenir une stabilité politique dans un pays stratégique au Moyen-Orient. Par ailleurs, la plupart de la bourgeoisie turque et de ses partis n’a pas soutenu, non plus, le coup militaire malgré les frictions existantes. En voyant les images, il y a eu l’impression que le coup a été battu par une mobilisation populaire, mais la réalité a été plus contradictoire. La haine des travailleurs, la jeunesse et le peuple kurde au régime d’Erdogan ont fait impossible que ces secteurs prennent la rue. Ceux qui sont sortis sont la base et l’appareil du parti d’Erdogan, l’AKP (Parti de la Justice et le Développement), ceux qui ont répondu à son appel. Des policiers et des secteurs des services de l’État se sont joint a ces manifestations. Ils forment une base très conservatrice et réactionnaire : ils ont crié par Allah et demandaient des condamnations à mort. Dans un des ponts du Bosphore ces secteurs ont égorgé un soldat. L’appel d’Erdogan à sa base, pour occuper les rues, c’était un signal de faiblesse, puisque à cette heure il y a eu une certaine neutralité militaire que l’empêchait de réprimer les putschistes. Par ailleurs, bien que le coup n’ait pas réussi, c’était un fort signal contre Erdogan, en montrant l’importance de la crise politique et la fragilité de son pouvoir. À cause de cela, depuis le gouvernement et les mosquées on a appelé les gens pour ne pas quitter les rues.
3 · Selon le gouvernement, le coup a été organisé par la communauté islamique de Fethullah Gülen, qui est exilé aux États-Unis. Sa communauté est quelque chose de semblable à l’Opus Dei dans l’Église Catholique, avec 1.000 écoles dans 130 pays, et jusqu’à 2013 il a été un fort allié de l’AKP. Il a rompu avec Erdogan quand des médias de presse liées à sa communauté ont dénoncé de graves faits de corruption de l’entourage d’Erdogan. Pendant la période antérieure, une série d’officiers de l’armée liés à Gülen ont été promus et ils ont gagné influence dans la bureaucratie de l’État. Depuis lors cette communauté a été le «diable utile» d’Erdogan. Il pourrait être qu’une partie des putschistes appartiennent à cette communauté, mais la composition du front putschiste serait plus large.
4.- Le coup manqué fait partie de la crise du régime qui s’est approfondi depuis la révolte populaire de la Place Taksim de juin 2013. Des milliers de jeunes et des secteurs populaires ont occupé la rue dans tout le pays et Erdogan a réussi à sauver sa tête. La crise exprimait une grande usure politique liée aux ajustements d’une économie qui a subi les effets de la crise mondiale capitaliste. Depuis lors Erdogan a donné un fort tour répressif, il a rompu les négociations de paix avec la direction de la guérilla kurde et il a cherché un plus grand pouvoir politique avec un projet presidencialiste, avec une tentative manquée de changer la constitution. Les répressives politiques d’Erdogan ont établi les facteurs objectifs de cette tentative de coup d’État. Après avoir lancé la guerre contre les Kurdes dans la région du sud orient de la Turquie, l’armée a commencé à récupérer son poid dans la scène politique. L’armée est devenue l’allié le plus important d’Erdogan ce qui a augmenté l’auto-confiance des secteurs des putschistes à l’intérieur des forces armées. Un autre facteur important qui a pu accélérer le coup a été le projet de restructuration de la bureaucratie civile et militaire que le gouvernement préparait pour déplacer des secteurs non fidèles au AKP.
5 · Les partis politiques d’opposition parlementaire se sont opposés au coup et ont signé une déclaration commune. Entre ceux-ci, le principal parti patronal opposant le CHP (Parti républicain du Peuple) social-démocrate et continuateur historique de Kemal Atatuck, et le HDP (Parti de la Démocratie des Peuples), l’alliance de gauche prokurde. Le HDP a souligné que le début de la guerre et les politiques répressives d’Erdogan ont ouvert le chemin à la tentative et il a exigé la réinitialisation du processus de négociation. Mais, Erdogan n’a même pas mentionné le HDP après l’échec du coup, alors qu’il a remercié les autres leaders des partis de l’opposition.
6 · Après la tentative manquée il y avait deux alternatives pour Erdogan : diminuer la tension politique ou augmenter la répression et son projet autoritaire. Tout indique qu’il a choisi la deuxième option. Immédiatement après l’échec du coup, le gouvernement a commencé une «dépuration» massive en arrêtant 6.000 soldats – centaines d’eux officiels – et il a demis de ses fonctions presque 3.000 juges et procureurs. Il a suspendu 15.000 employés publics. Le gouvernement parle de la possibilité de restaurer la peine de mort pour les putschistes. Ces pas polariseront encore plus la scène politique et ils peuvent alimenter de nouvelles crises dans l’avenir proche. Comme bien l’a signalé la déclaration du Parti de la Démocratie Ouvrière (IDP) : «C’est un moment de défendre notre liberté du putschisme et du régime répressif d’Erdogan ! […] Contre les dictatures et la répression du régime, la seule solution réelle est la mobilisation des masses travailleuses, de la jeunesse et des femmes, des Kurdes et tous les secteurs opprimés et exploités contre la répression et les politiques de pillage à côté des efforts du peuple dans l’exigence de droits et de liberté démocratique «.
Miguel Sorans
Unité Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale (UIT-QI)