Far:Miguel Sorans, dirigeant de l’UIT-QI
Dans ce texte, on va essayer de contribuer à clarifier et à avancer dans un échange de vues avec des camarades socialistes révolutionnaires du monde entier dont nous savons qu’ils ont un intérêt honnête à approfondir théoriquement et politiquement certaines questions politiques et théoriques dont Nahuel Moreno a traité sur les révolutions de l’après-guerre.
En particulier, nous voulons répondre à la fausse accusation selon laquelle Nahuel Moreno aurait abandonné la thèse de la Révolution Permanente et capitulé devant la théorie menchevique et stalinienne de la révolution par «étapes».
Historiquement, des divers dirigeants et courants du trotskysme dans ses deux déviations, l’opportuniste (de Pablo et Mandel) et le sectaire (Healy, Lambert, Lora) ont utilisé ces fausses polémiques. C’est leur ressource pour éviter un débat sérieux entre marxistes et révolutionnaires et pour cacher leurs propres positions antitrotskystes. Entre autres, on peut citer actuellement des secteurs tels que la Coordinatrice pour la Refondation de la Quatrième Internationale (CRCI) dirigé, entre autres, par Jorge Altamira et Savas Michael-Matsas, dirigeant du EEK grec et la Fraction Trotskyste (PTS d’Argentine). Récemment, la présence d’un texte sur le site web du PCL d’Italie, ancien membre de la CRCI, d’un dirigeant sous le titre : « Morénisme, une école du trotskysme déviant » a surpris.
Ce texte s’inscrit dans la mauvaise méthode d’insultes et de calomnies, méthode caractéristique de l’école des dirigeants qui attaquent Moreno en falsifiant ses positions, en insultant et en manipulant des citations prises hors contexte. L’objectif est d’éviter un débat théorique et politique réel et sincère pour rechercher la vérité. L’ancienne méthode du « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Cette méthode, fondée sur la falsification, cherche à confondre l’avant-garde combattante. Dans ce texte, le militant ou le dirigeant du PCL est allé jusqu’à inclure dans chaque paragraphe une insulte contre Moreno. Il définit Moreno comme «contrebandier professionnel», «professant le menchévisme» ou faisant «un conte de boucher». Ce texte veut laisser établi que Moreno a fait la révision «plus objective de la pensée de Trotsky que jamais a eu dans l’histoire du trotskysme». Dans ce texte très déroutant, on cherche à établir que Nahuel Moreno était passés dans le camp du révisionnisme trotskyste en abandonnant la théorie de la Révolution Permanente.
Nous essaierons de prouver qu’au contraire, Nahuel Moreno a ratifié dans tous ses écrits la validité de la théorie de la révolution permanente.
1. Moreno a mis à jour les Thèses de 1929 en tenant compte du fait que dans la période d’après-guerre il y a eu des faits nouveaux et différents, dans certains aspects, des prévisions de Trotsky et qui a été ouverte une étape de révolutions mais sans aucune révolution d’Octobre.
Ainsi, Moreno a-t-il abandonné la théorie et la thèse de la Révolution Permanente ? Moreno est devenu un étapiste ? Moreno s’est-il rallié à la théorie menchévique et stalinienne qu’il y a deux étapes, une première » démocratique » d’unité politique avec la bourgeoisie et même de soutien à un gouvernement bourgeois et une autre » socialiste » ultérieure? Y a-t-il un cas où Moreno a soutenu des gouvernements bourgeois ou bourgeois de front populaire comme le stalinisme ou les courants révisionniste et opportuniste du trotskisme?
Nous allons montrer que rien de tout cela est vrai, ni dans les textes, ni dans la réalité de la lutte des classes depuis 70 ans.
Que s’est-il passé après la guerre de 1945 ? Avec le triomphe colossal qui signifia la défaite du nazisme, s’ouvrit une étape de grandes révolutions, d’une ascension révolutionnaire mondiale. Il y a eu des triomphes révolutionnaires qui ont même exproprié la bourgeoisie, comme ce fut le cas en Europe de l’Est, en Yougoslavie, dans la révolution chinoise de 1949, dans la révolution cubaine de 1959. De nouveaux États ouvriers bureaucratisés ou déformés sont apparus.
Le grand fait nouveau et imprévu, que Trotsky (assassiné en 1940) n’a pas vécu, est que tous ces triomphes révolutionnaires ont été dirigés par les appareils contre-révolutionnaires qui contrôlaient le mouvement ouvrier, en premier lieu les partis communistes bureaucratiques staliniens et diverses directions révolutionnaires non socialistes. Contre le pronostic de Trotsky selon lequel le stalinisme entrerait en crise et que la Quatrième Internationale serait une organisation de masses à la fin de la guerre, c’est le contraire qui se produit. Pour diverses raisons, au lieu de surmonter la crise de la direction révolutionnaire, elle a continué. Tout cela a été la source d’une grande confusion dans le mouvement trotskyste. Le trotskysme, et la Quatrième Internationale sans Trotsky, est devenu après la seconde guerre mondiale un mouvement marginale avec une grande crise qui expliquerait l’émergence de courants opportunistes et révisionnistes sectaires.
Une étape révolutionnaire s’est ouverte avec des révolutions sur presque tous les continents. Mais sans aucune révolution d’Octobre, c’est-à-dire sans le rôle moteur de la classe ouvrière et la direction d’un parti marxiste révolutionnaire. Ce sont les deux prémisses des Thèses de la Révolution Permanente écrites par Léon Trotsky. Et ces deux prémisses ne se sont pas réalisées dans cette nouvelle étape de grandes révolutions. Et cela a ouvert la porte à toutes sortes d’interprétations.
Aussi bien l’opportunisme de Pablo et Mandel que le sectarisme disaient : les thèses de la Révolution Permanente de 1929 se sont réalisées à la lettre et il en est résulté deux interprétations totalement erronées et néfastes.
Les opportunistes, pour justifier leur dogmatisme, ont qualifié de marxistes révolutionnaires les dirigeants staliniens ou réformistes triomphants. La conclusion était fondée sur la réalité que la direction stalinienne ou bureaucratique du PC chinois avait menée une révolution triomphante, qui a même exproprié la bourgeoisie. Mais ils ont établi la grande et tragique erreur de la considérer alors comme le parti révolutionnaire, qui incarnait la classe ouvrière chinoise et de forcer ainsi la prétendue » réalisation » du texte des thèses de Trotsky. Mandel a fait la même chose face à la révolution cubaine : ils ont donné soutien à la direction de Castro et «décrété» qu’il n’était pas nécessaire de construire une section de la Quatrième Internationale à Cuba.
Les courants sectaires (Healy, Lambert, Tony Cliff, Lutte Ouvrière) ont dit : Mao et Fidel Castro ne sont pas des révolutionnaires, la classe ouvrière ne joue pas le rôle principal et alors ils ont nié ces triomphes révolutionnaires en Chine ou à Cuba et leur conversion en des États ouvriers ou socialistes.
Moreno était le seul qui, d’une position trotskyste révolutionnaire et cohérente, reconnaissait les faits nouveaux et leur donnait une réponse correcte, en accord avec les conceptions de Trotsky, de la Révolution Permanente et le Programme de la Quatrième Internationale.
C’est ainsi qu’à cause de ce débat, initié au début des années cinquante, la Quatrième Internationale s’est scindée et le trotskysme est entré dans une crise historique, de dispersion, qui n’a pas été surmontée.
Le fait, nié par les opportunistes et les sectaires, est que deux des prémisses centrales des Thèses de la Révolution Permanente n’ont pas été remplies. 100 ans se sont écoulés depuis la révolution russe et, malheureusement, il n’y a pas eu de nouvelle Révolution «d’Octobre». Moreno, pour défendre le trotskysme contre les attaques des révisionnismes opportunistes et sectaires, n’est pas tombé dans le dogmatisme du rejet de cette réalité nouvelle et contradictoire. Il n’est pas tombé non plus à embellir les directions triomphantes et à capituler devant eux (Tito, Mao, Castro, etc…), ni à rejeter les grands triomphes et les acquis de l’expropriation de la bourgeoisie. Il a pris la réalité telle qu’elle était, pour en chercher l’explication et maintenir la politique et le programme de la Quatrième Internationale. Il continua ainsi à défendre avec acharnement la conception trotskyste de la Révolution Permanente, et même le texte des Thèses de 1929. C’est pourquoi il est toujours resté fidèle à la lutte pour la construction des partis révolutionnaires trotskystes abandonné depuis les années cinquante à cause de l’opportunisme du pablisme/mandelisme,. C’est ainsi qu’il l’a exposé dans le texte Escuela de Cuadros de 1984. Citations ignorées par l’ami du PCL.
«Nous croyons que les faits ont montré[qu’il y a une grande erreur dans le texte] écrit de la théorie de la révolution permanente[c’est-à-dire dans les Thèses]. Parce que la classe ouvrière organisée et le parti révolutionnaire l’ont déjà vu auparavant,[mais] cela ne s’est pas produit dans cette période d’après-guerre. Maintenir que cela s’est produit dans la réalité serait être un aveugle, un fanatique de Trotsky, un religieux de Trotsky et Trotsky lui-même s’opposerait à notre position. Mais nous sommes toujours fanatiques de la théorie de la Révolution Permanente. Pourquoi ? Parce que nous croyons que c’est la seule théorie qui, malgré cette énorme erreur, est conforme [à la réalité].
Il y a eu des processus de révolution permanente qui ont exproprié la bourgeoisie, qui ont fait la révolution ouvrière et socialiste, sans être dirigés par la classe ouvrière et sans être dirigés par le parti communiste révolutionnaire. C’est-à-dire que les deux sujets de Trotsky, le social et le politique, ont manqué au rendez-vous historique, ne sont pas arrivés à temps. Et pourtant, malgré avoir manqué au rendez-vous historique, nous continuons à croire que la théorie de la révolution permanente est la plus grande découverte du siècle du point de vue théorique. Et, étant très peu les trotskystes qui insistent toujours sur le fait que le grand Trotsky avait tort, je me demande pourquoi nous restons fanatiques de cette théorie.
(…) Mais il y a autre chose qui est plus important, le plus important, celui qui fait qu’il n’y a personne de semblable à Trotsky en tant que théoricien : il avait raison que la révolution était mondiale, qu’il allait y avoir des révolutions dans tous les pays.
Et c’est là qu’intervient la contre-révolution. [Parce que Trotsky a dit] que soit ces révolutions s’approfondissaient de plus en plus, soit elles devenaient plus globales vers l’extérieur et plus socialistes vers l’intérieur, soit elles reculent et c’est la contre-révolution qui progresse. En d’autres termes, il n’y a aucune possibilité de statu quo à l’échelle mondiale entre révolution et contre-révolution. Cette partie des Thèses de la Révolution Permanente de Trotsky a été pleinement corroborée. Tellement corroboré que les sujets politiques qui n’ont pas voulu faire la révolution socialiste ont été forcés de la faire par la situation objective elle-même. (NM. Escuela de Cuadros 1984, pages 23-24)
2. Les expropriations en Europe de l’Est et les révolutions chinoise et cubaine
Comme nous l’avons déjà dit, ni en Europe de l’Est, ni en Chine, ni à Cuba, les révolutions n’ont été le fait de la classe ouvrière mobilisée et encore moins des partis marxistes révolutionnaires. Et pourtant, en Europe de l’Est, c’est-à-dire en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie, en Allemagne de l’Est et en Tchécoslovaquie, après la défaite du nazisme, c’est l’Armée Rouge sous le commandement de Joseph Staline qui a exproprié la bourgeoisie et a conduit à l’émergence des États ouvriers déformés ou bureaucratiques.
La révolution chinoise de 1949 n’avait pas eu non plus pour protagoniste la classe ouvrière chinoise, mais fondamentalement la paysannerie dirigée et organisée par un parti-armée qui menait une guérilla, le Parti Communiste de Mao, qui était aussi politiquement stalinien et bureaucratique. Ce n’était pas un parti ouvrier marxiste révolutionnaire. Dans la révolution cubaine de 1959, la classe ouvrière n’a pas joué non plus un rôle de premier plan, mais la paysannerie et la classe moyenne urbaine nuclées autour du mouvement du 26 juillet, avec une direction petite bourgeoise démocratique dirigée par Fidel Castro. Cette révolution a fini par déclarer le premier État socialiste d’Amérique Latine et par exproprier la bourgeoisie. Tout cela sans respecter les deux prémisses posées par Trotsky. C’est la direction politique de Pablo/Mandel, impactée par cette réalité que le pronostic textuel de la révolution permanente ne s’est pas réalisé, qui a commencé à élaborer une théorie révisionniste capitulée et à abandonner le programme et la politique de Trotsky. C’est la base du révisionnisme, parce qu’ils ont commencé à qualifié ces directions comme révolutionnaires ou progressistes.
Impressionnés par cette réalité contradictoire, Pablo, Mandel et Posadas ont cédé aux directions réformistes. Ils ont capitulé au stalinisme, ils ont fait de l’entrisme dans les PC en Europe. Ils ont pensé que ces directions deviendraient révolutionnaires si la troisième guerre mondiale éclatait et que la bureaucratie de l’ex-URSS serait forcée d’affronter l’impérialisme. Ou encore, ils considéraient Tito, qui avait transformé la Yougoslavie en un État ouvrier bureaucratique, comme un révolutionnaire pro-trotskyste parce qu’il avait des frictions interbureaucratiques avec Staline. La réalité objective si forte ( la crise de l’impérialisme) que les directions petites-bourgeoises traîtres et nationalistes ont dépassé leurs intentions et ont dû affronter et exproprier la bourgeoisie. Ce que Moreno a donc fait, c’est affronter cette situation sans capitulations, en répondant aux nouveaux phénomènes pour défendre les thèses de la révolution permanente et, fondamentalement, défendre à la lettre la grande tâche de construire les partis trotskystes avec centralisme démocratique.
Il fallait alors trouver une explication. Moreno l’a cherché pour défendre la théorie de la révolution permanente, non pas pour la réviser mais pour l’actualiser. Parce que Moreno est arrivé, à juste titre, à la conclusion que, pour des raisons objectives profondes de la montée révolutionnaire, de la crise de l’impérialisme, mais aussi de la crise et absence de la direction révolutionnaire, ces directions ont été contraintes par les circonstances, sans la révolution d’Octobre et socialiste avec les deux conditions que Trotsky avait posées, à exproprier la bourgeoisie. C’est là le point, en ce sens, que Moreno évoque la nécessité d’actualiser et d’expliquer.
L’interprétation de Moreno s’inscrivait dans le contexte de l’autre grande théorie qui est la loi du développement inégal et combiné, et que cela produisait que la réalité objective était plus marxiste et plus trotskyste que Trotsky lui-même. C’est également Trotsky lui-même qui a fourni la clé pour interpréter correctement les faits nouveaux. Trotsky avait envisagé, dans le Programme de Transition, au sujet du gouvernement ouvrier et paysan, comme une possibilité » très improbable » que «sous l’influence de circonstances tout à fait exceptionnelles » il serait possible que » des partis petits- bourgeois, y compris les staliniens, puissent aller plus loin qu’ils le souhaitent eux-mêmes sur la voie d’une rupture avec la bourgeoisie.
Dans l’après-guerre, en raison de la combinaison particulière de circonstances dans lesquelles il y a eu des expropriations, toutes ont eu lieu en vertu de cette exception qui a été à peine envisagée dans un paragraphe du Programme de Transition. Ce qui s’est passé dans la réalité, c’est ce que Trotsky a envisagé comme «hautement improbable». C’était la norme et non l’exception dans le processus d’émergence des nouveaux États ouvriers d’après-guerre dirigés par le stalinisme et les directions de la petite-bourgeoisie. Il n’y a pas eu de triomphe semblable à celui d’Octobre 1917, mais l’expropriation de la bourgeoisie s’est étendue à un tiers de l’humanité.
La Chine et Cuba, d’abord dirigés par ces directions non révolutionnaires, ont produit des triomphes de révolutions démocratiques contre Chiang-Kai-Shek et Batista qui étaient des dictatures capitalistes. Ces directions ont été forcées par la réalité, par la radicalisation et par la mauvaise politique de l’impérialisme et sa crise, d’aller au-delà de ce qu’elles voulaient et elles ont exproprié la bourgeoisie et ainsi il y a eu des conquêtes dans la première étape de ces révolutions, des conquêtes qui sans l’expropriation de la bourgeoisie ne se seraient pas réalisées. En ce sens, la théorie de la révolution permanente s’est réalisée, mais sans la thèse écrite du rôle actif de la classe ouvrière et de la direction révolutionnaire.
Moreno, contrairement à ce que disent ses détracteurs, n’a fait que mettre à jour et ratifier la théorie et les thèses de la Révolution Permanente, en fournissant également des définitions catégoriques sur la dynamique des pays où les nouveaux États bureaucratiques avaient été expropriés : leurs comportements paralyseraient ces avancées et ils refuseraient catégoriquement de progresser vers la révolution socialiste mondiale. Il a réaffirmé que les partis trotskystes révolutionnaires et le rôle actif de la classe ouvrière étaient absolument indispensables.
«Nous continuons à défendre de manière intransigeante l’essence, aussi bien la théorie que des propres Thèses écrites de la révolution permanente : seul le prolétariat dirigé par un parti trotskyste peut mener à terme la révolution socialiste internationale et donc la révolution permanente. Seul le trotskysme peut promouvoir la mobilisation permanente de la classe ouvrière et de ses alliés, principalement celle de la classe ouvrière. La seule chose que nous ajoutons, c’est que la force objective de la révolution mondiale, combinée avec la crise de la direction du prolétariat mondial et la crise sans issue de l’impérialisme, a permis aux révolutions nationales de Février d’aller bien au-delà de ce qui était prévu dans les Thèses : que les partis petits-bourgeois prennent le pouvoir et initient une révolution socialiste. Mais ces partis, en construisant des États ouvriers bureaucratisés de type national, en imposant leur programme de coexistence pacifique et la construction du socialisme dans un seul pays, paralysent la révolution permanente.
En ce sens, les thèses n’étaient erronées que pour certains pays où le processus de révolution permanente, mené par des partis petits-bourgeois dont le stalinisme, s’est freinée, mais elles avaient raison en le sens que le processus s’arrêtait inévitablement si ce n’était pas mené par un parti communiste léniniste, c’est-à-dire trotskyste. Alors que les Thèses croyaient qu’il était impossible de franchir les frontières bourgeoises – y compris les frontières féodales – la réalité montrait que ces frontières pouvaient être franchies par la pression du mouvement de masses et, à contrecœur, par les partis petit-bourgeois qui les dirigeaient.
La théorie de la révolution permanente s’enrichit du plus extraordinaire outil de recherche et d’élaboration politique et théorique que nous a légué le trotskysme : la théorie du développement inégal et combiné. L’impulsion du mouvement de masses combinée à la crise de la direction révolutionnaire a donné naissance à des combinaisons non prévues en détail (et qui ne pouvaient pas l’être) par notre mouvement. Mais ces combinaisons confirment non seulement que le processus de révolution permanente existe, mais qu’il est si puissant qu’il donne naissance à ces combinaisons ; et elles confirment plus que jamais la théorie du développement inégal et combiné comme la conquête théorique ultime du marxisme révolutionnaire de ce siècle.
(NM. , Thèse XXXIV. Mise à jour du Programme de Transition, 1980)
3. Les révolutions avortées des XXe et XXIe siècles
Comme nous l’avons déjà souligné, depuis la Seconde Guerre mondiale (1945) il y a eu toutes sortes de révolutions, triomphantes et vaincues. Et aucune d’entre elles avaient à sa tête un parti marxiste révolutionnaire, autant celles qui ont exproprié la bourgeoisie comme celles qui ont été freinées auparavant. En ce sens, Moreno les définit comme des «Révolutions de Février», selon le calendrier de la Révolution russe de 1917, des révolutions sans le rôle dirigeant de la classe ouvrière et sans direction marxiste révolutionnaire. Le contraire de la Révolution d’Octobre. C’est pourquoi Moreno définit que, depuis l’après-guerre, il n’y a eu que des «révolutions de février» (certaines conduisant à l’expropriation et d’autres non) et aucune révolution d’octobre.
Entre le milieu du XXe siècle et le début du XXIe siècle, il y a eu des nombreuses révolutions qui sont restés à mi-chemin. Ils n’exproprient pas la bourgeoisie parce qu»elles ont été freinés par la crise de la direction révolutionnaire et l’action des directions bureaucratiques soviétique et chinoise. Dans l’après-guerre, des grandes révolutions ont été empêchées d’avoir une dynamique de progrès permanent et d’être des leviers pour le triomphe de la révolution mondiale.
C’étaient des révolutions avortés par des dispositifs contre-révolutionnaires. Bolivie en 1952 ; Algérie en 1962 ; Portugal en 1975 ; Iran en 1978 ; Nicaragua en 1979, El Salvador en 1980, entre autres. Au XXIe siècle, les révolutions arabes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ce que l’on a appelé le processus du printemps arabe. Dans ce dernier cas, ils restent sur le terrain d’une révolution démocratique, qui est paralysée ou vaincue par les directions bourgeoises, petites-bourgeoises et ouvrières réformistes et bureaucratiques.
Alors, ce n’est pas que Moreno soit devenu étapiste mais qu’il ait reconnu qu’il y eu de grandes révolutions qui par le contrôle des appareils bureaucratiques et la crise de la direction révolutionnaire n’ont pas avancé dans une dynamique permanente, intérieure et extérieure, mais qu’elles ont été freinées. Justement Moreno a toujours défendu -contre toutes les variantes du révisionnisme trotskyste- la lutte stratégique pour les deux prémisses que les Thèses proposent correctement : pour le rôle moteur de la classe ouvrière dans les révolutions et pour la construction d’un parti marxiste révolutionnaire.
C’est ce que Moreno dit simplement. Il souligne comme positif qu’il y a encore des révolutions, malgré l’absence de direction révolutionnaire, mais il souligne le négatif et c’est que s’ils n’avancent pas vers le dépassement de la crise de direction, la perspective est le recul du processus révolutionnaire et la perte de ses conquêtes démocratiques et sociales. De là, Moreno laisse entendre qu’il est essentiel de continuer à promouvoir le processus révolutionnaire, dans la logique de la révolution permanente.
De cette façon, Moreno a donné de nouveaux outils pour affronter le trotskysme révisionniste, qui a commencé à abandonner la théorie de la révolution permanente sous le couvert d’une prétendue défense de celle-ci. Au fil des années, les révisions et les capitulations n’ont fait qu’avancer. Dans le cas du mandélisme, ses partisans soutiennent depuis longtemps qu’il n’y aura pas des révolutions du genre d’octobre 1917, au point de retirer formellement de leur programme le slogan de la dictature du prolétariat. D’autre part, Moreno et notre courant ont toujours soutenu que la Révolution d’Octobre est toujours en vigueur, et c’est pourquoi la mobilisation de la classe ouvrière et des masses et la construction du parti qui les dirige sont essentielles. Nous savons que ce n’est pas facile, mais il n’y a pas d’autre moyen de surmonter la crise de la direction révolutionnaire aux niveaux national et international.
4. Nahuel Moreno et son courant n’ont jamais soutenu un gouvernement bourgeois
Les détracteurs de Nahuel Moreno et du morénisme nous accusent d’être des étapistes, des mencheviks et des révisionnistes de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Nous les mettons au défi de montrer où le courant de Moreno quand il vivait ou notre courant organisé à l’UIT-QI, sont tombés dans «l’étapisme», ou dans le «menchevisme» et que nous avons soutenu un gouvernement bourgeois classique ou de front populaire.
Au contraire, c’est Nahuel Moreno qui a toujours lutté contre le révisionnisme opportuniste dans la Quatrième Internationale qui a cédé aux gouvernements bourgeois et de front populaire. Il suffi de rappeler l’exemple de la Bolivie en 1952, avec le jeune Moreno face à Pablo, Mandel, ou Posadas, les dirigeants du Quatrième Inte4rnationale, qui refusèrent le slogan de « Tout le pouvoir à la COB !», et soutinrent de manière critique le gouvernement nationaliste bourgeois de Paz Estensoro.
On a souvent évoqué la politique de Moreno vers le péronisme en Argentine et l’entrisme, qui était une tactique (1957/1962) à une époque où le péronisme était interdit et où les travailleurs péronistes résistaient clandestinement sous une dictature pro-américaine. Il est important de préciser que nous ne sommes pas entrés dans le parti péroniste, mais dans les organisations syndicales péronistes qui ont promu les grèves dans ce qu’on a appelé la » Résistance péroniste » contre la répression du régime militaire d’Aramburu et Rojas, appelée la dictature » gorille «. Si quelque chose a caractérisé le courant de Nahuel Moreno en Argentine, c’est bien la confrontation avec le nationalisme bourgeois et avec le péronisme et la lutte politique avec les disciples de Pablo et de Mandel, comme Posadas, qui capitula complètement. Et cela a atteint son apogée lorsque Perón est retourné en Argentine en 1972 et a conclu ce qu’on a appelé le Grand accord national avec l’armée et la bourgeoisie pour tenter de stabiliser le pays, après la semi-insurrection ouvrier-étudiante nommée le Cordobazo de 1969. Notre courant a fondé le Parti Socialiste des Travailleurs (PST). Nous avons eu le courage, lorsque la guérilla et la majorité de la gauche ont cédé à la candidature de Juan Domingo Perón, de présenter en septembre 1973 une candidature présidentielle d’indépendance de classe dirigée par Juan Carlos Coral et José Páez, le dirigeant de classe de Córdoba. Dans le processus des luttes ouvrières contre le gouvernement péroniste, nous avons eu nos martyrs assassinés par les Trois A (groupes d’assassins liés au péronisme et à sa bureaucratie syndicale). Ensuite, le PST a lutté le contre le gouvernement de Perón, puis Isabel et López Rega et aussi dans la clandestinité sous la dictature de Videla.
Au Nicaragua en 1979, Moreno et son courant international ont promu le soutien à la mobilisation révolutionnaire contre la dictature de Somoza, en participant à la lutte armée avec la Brigade Simón Bolívar avec une politique indépendante et en rejetant la politique de conciliation de classe du Front Sandiniste (FSLN). Dans le Front Sud, la brigade a eu trois morts et des dizaines de blessés au combat. Sur la côte atlantique, la brigade a pris le port de Bluefields. Daniel Ortega et l’ensemble de la direction du FSLN, lorsqu’ils ont pris le pouvoir, ont négocié avec la dirigeante conservatrice Violeta Chamarro la formation d’un gouvernement de conciliation de classe, conseillé par la direction cubaine, directement par Fidel Castro lui-même. Le mandélisme était en faveur de ce gouvernement bourgeois, le définissait comme un gouvernement ouvrier et paysan et il a donné soutien à l’expulsion et la répression de la Brigade Simón Bolívar par les sandinistes. Le courant de Jorge Altamira a utilisé la méthode répugnante et sans principes de remplacer les polémiques politiques par des calomnies et de fausses accusations morales. Altamira a menti en disant que la Brigade n’avait pas lutté et qu’elle avait été expulsée pour avoir volé de l’argent. La note d’Altamira était intitulée «La Brigada Simón Bolívar, una estafa política-económica» (Prensa Obrera, 16/10/1986). Selon Altamira, la Brigade n’a pas été expulsée pour des raisons politiques, mais «parce qu’elle a refusé de rendre compte du profit financier qu’elle a réalisé au nom du FSLN. Quelques jours auparavant, Carlos Nuñez, l’un des commandants des FSLN, l’avait nié : «Nous apprécions beaucoup les camarades de la Brigade Simón Bolívar (…) qui ont combattu à nos côtés pour vaincre la dictature Somoza» (Diario Clarín, Argentine, 10/8/1986). Tomas Borge avait déclaré que le FSLN devait «dissoudre» la brigade parce qu’ « ils avaient adopté des positions d’ultra-gauche et d’indiscipline qui posaient des problèmes à la révolution sandiniste ».
Déjà sans Moreno, décédé en 1987, au XXIe siècle, nous continuons à lutter contre la reddition de secteurs du trotskysme à des gouvernements de front populaire, de conciliation de classe comme le gouvernement de Lula et le PT au Brésil, puis le gouvernement de Hugo Chávez au Venezuela. Non seulement le mandélisme soutenait le gouvernement de Lula, mais l’un de ses dirigeants était directement le ministre des Affaires agraires. D’autres trotskystes comme Alan Woods ont soutenu et défini le gouvernement d’Hugo Chávez comme révolutionnaire, tandis que l’UIT-QI a maintenu une politique indépendante de ces gouvernements. Nous soulignons également certains faits qui illustrent bien notre politique indépendante, notamment lorsque, au Brésil, nous nous sommes opposés à la privatisation des régimes de retraite des enseignants et que l’un de nos principaux dirigeants et député national, Baba, a été expulsé du PT, au cours des premiers mois du gouvernement Lula. Au Venezuela, notre dirigeant ouvrier Orlando Chirino et nos camarades ont toujours été indépendants du gouvernement de Chávez et ont proposé un programme alternatif ; nous avons eu même nos martyrs ouvriers assassinés par des sicarios, en novembre 2008, guidés par le régime Chávez.
Pour résumer, Nahuel Moreno et notre courant ont toujours revendiqué et ratifié la conception de la révolution permanente de Trotsky, y compris le texte des Thèses de 1929, ainsi que le Programme de Transition. Et Moreno a été un pionnier et un champion de la lutte contre le révisionnisme qui a détruit la Quatrième Internationale, pour lutter contre toutes les politiques étapistes et de capitulation et contre les gouvernements bourgeois de toutes sortes, en particulier contre les gouvernements de front populaires. Encourager la construction de partis révolutionnaires contre tous les appareils, pour disputer la direction et pour diriger les ouvriers et les masses. C’est le seul moyen d’avoir de nouveaux octobres. Nous ratifions qu’il est nécessaire, bien qu’il n’ait pas été donné depuis un siècle, la lutte stratégique pour de nouvelles révolutions en octobre.
Septembre 2018
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